La Valise mexicaine
Robert Capa, Gerda Taro et David Seymour
Retrouvés en 2008, des négatifs de Capa et de ses amis pris lors de la guerre d'Espagne sont exposés à Arles.
Paris, juin 1940. Les nazis sont aux portes de la ville et Imre « Csiki » Weisz, qui dirige l'atelier de Robert Capa, sent qu'il lui faut partir. Il pioche dans les archives du photographe et sélectionne celles qui sont, à ses yeux, les plus précieuses. Soit un ensemble de 4 500 négatifs pris pendant la guerre d'Espagne. Ils sont signés Capa, mais aussi Gerda Taro (1910-1937), sa compagne, morte au front, écrasée par un tank républicain ; et leur ami David Seymour, dit Chim (1911-1956). Csiki enfourche son vélo, direction le sud de la France. Avec l'idée de mettre ce témoignage unique à l'abri.
Il a fallu attendre 2008 pour voir ces boîtes - regroupées sous l'appellation de « Valise mexicaine » - réapparaître à Mexico, avant d'être remises à l'ICP, le Centre international de la photographie, fondé en 1974 à New York par Cornell Capa (1918-2008), le frère de Robert. Cette donation fait aujourd'hui l'objet d'une exposition présentée aux Rencontres d'Arles. Elle dévoile les négatifs sous forme de planches-contacts agrandies, déroulant les images dans l'ordre dans lequel elles ont été prises. Comme cette montée vers le front d'Aragon, saisie par Capa en 1938, qui donne à voir la manière dont les républicains s'occupent de leurs blessés avant de repartir au combat.
Cette « valise mexicaine » est aussi pleine d'images inédites que d'histoires. Histoire de la photographie, de la guerre d'Espagne ; histoire d'un homme, enfin, que d'aucuns considèrent comme le plus grand photo reporter de guerre de tous les temps. Un dandy flamboyant, anarchiste dans l'âme, comme le rappelait Henri Cartier-Bresson, avec qui il avait fondé l'agence Magnum. Un génie de l'image, surtout, qui sut transformer le reportage en photojournalisme. Car Capa se rêvait journaliste. Il signe son premier reportage à Copenhague, où on l'envoie photographier Trotski. Il sera le seul, ses collègues ayant été empêchés de l'approcher avec leurs gros appareils. Lui avait un tout petit Leica, récemment apparu sur le marché ; son reportage est acheté par plusieurs journaux. Mais c'est avec la guerre d'Espagne qu'il se fait un nom. Il en a parfaitement saisi l'enjeu : si le fascisme triomphe de l'autre côté des Pyrénées, il se répandra en Europe. Dès juillet 1936, Capa part au combat avec Gerda Taro et Chim munis de leurs appareils.
Comme le rappellent les photos exposées à Arles, chacun a son style. « Gerda Taro, la plus radicale, regarde la mort en face, explique la cinéaste Trisha Ziff (1). Chim s'intéresse aux ouvriers, transmet la personnalité de ses sujets. » Grâce à son Leica, rapide, silencieux, très maniable, Capa se jette au cœur des combats. Il s'approche au plus près des soldats, célèbre leur courage, serre ses cadrages, cueille les expressions, donne du mouvement à ses images, ne photographie pratiquement jamais la mort. Certains tirages sont flous, saisis alors que les bombes explosent. Ils annoncent ceux du débarquement ou de la campagne d'Allemagne en 1945. Ils documentent aussi les dommages collatéraux de ce conflit, où les civils sont directement visés, une première en Europe.
Ces photos sont à mille lieues de celles, statiques ou posées, des précédents conflits. Jusque-là, les photographes étaient au service de l'idéologie du journal dont ils illustraient les articles. Capa, Chim et Gerda Taro s'en libèrent et livrent des informations auxquelles les rédacteurs, eux, n'ont pas accès. Ils cherchent à raconter une histoire, travaillant la narration en une succession d'images. Les journaux suivent, inventant une nouvelle maquette, où les photos sont disposées en séquence, comme au cinéma. Et l'Histoire se raconte désormais en noir et blanc. La photo a détrôné le texte ; et le photojournaliste, le reporter. Pour la première fois, le 10 décembre 1936, Capa voit son nom cité en une du magazine Regard, dont une de ses photos de Madrid sous les bombes fait la couverture, avec ce titre : « La capitale crucifiée, les prodigieuses photos de Capa, notre envoyé spécial ».
On ne sait comment la valise de Csiki s'est retrouvée entre les mains du général mexicain Francisco Aguilar González, personnage trouble, consul du Mexique à Vichy avant de rentrer dans son pays. En 1993, à la mort de sa veuve, leur fille l'offre à un producteur américano-mexicain. Deux ans plus tard, celui-ci visite une exposition sur la guerre d'Espagne et comprend qu'il a hérité des clichés de Capa. Il contacte le commissaire, qui transmet sa lettre à Cornell Capa. Chose étrange, ce dernier attend une dizaine d'années pour réagir.
Et Csiki Weisz, dans tout ça ? Après Bordeaux, on le retrouve à Marseille, puis au Maroc. Robert Capa, installé à New York, lui dégote un visa pour le Mexique, où il s'installe et vit... dans la même rue que le général Aguilar González, dont le placard abritait la valise mexicaine.
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